De Keyser, Véronique

De Keyser, Véronique

Adresse : Chauve souris. B. 32, Université de Liège, 4000 Liège

Pays : Belgique

Téléphone: 32 41 662 013

Télécopieur : 32 41 662 944

Courriel : dekeyser@vm1.ulg.ac.be

L'Education: BS, 1968, Université Libre de Bruxelles; PhD, 1974, Université Libre de Bruxelles

Centres d'intérêt: Fiabilité humaine ; ergonomie cognitive

Il est difficile de parler d'analyse du travail sans le replacer dans la perspective des mutations récentes du monde industriel, car la nature des activités et les conditions dans lesquelles elles s'exercent ont beaucoup évolué ces dernières années. Les facteurs à l'origine de ces changements ont été nombreux, mais il en est deux dont l'impact s'est révélé crucial. D'une part, le progrès technologique avec son rythme toujours plus rapide et les bouleversements induits par les technologies de l'information ont révolutionné les métiers (De Keyser 1986). D'autre part, l'incertitude du marché économique a exigé plus de flexibilité dans la gestion du personnel et l'organisation du travail. Si les ouvriers ont acquis une vision plus large du processus de production, moins routinière et sans doute plus systématique, ils ont en même temps perdu des liens exclusifs avec un environnement, une équipe, un outil de production. Il est difficile d'envisager sereinement ces changements, mais force est de constater qu'un nouveau paysage industriel s'est créé, parfois plus enrichissant pour les travailleurs qui peuvent y trouver leur place, mais aussi semé d'embûches et d'inquiétudes pour ceux qui sont marginalisés ou exclus. Cependant, une idée est reprise dans les entreprises et a été confirmée par des expériences pilotes dans de nombreux pays : il devrait être possible d'orienter les changements et d'en atténuer les effets néfastes en s'appuyant sur des analyses pertinentes et en utilisant toutes les ressources de négociation entre les différents acteurs du travail. acteurs. C'est dans ce contexte qu'il faut situer aujourd'hui les analyses du travail, comme outils permettant de mieux décrire les tâches et les activités afin d'orienter les interventions de différentes natures, telles que la formation, la mise en place de nouveaux modes d'organisation ou la conception d'outils et de processus de travail. systèmes. On parle d'analyses, et pas d'une seule analyse, puisqu'il en existe un grand nombre, selon les contextes théoriques et culturels dans lesquels elles sont élaborées, les buts particuliers qu'elles poursuivent, les preuves qu'elles recueillent, ou le souci de l'analyseur soit spécificité ou généralité. Dans cet article, nous nous limiterons à présenter quelques caractéristiques des analyses du travail et à souligner l'importance du travail collectif. Nos conclusions mettront en évidence d'autres voies que les limites de ce texte nous empêchent d'approfondir.

Quelques caractéristiques des analyses de travail

Le contexte

Si l'objectif principal de toute analyse du travail est de décrire ce que l'opérateur ou devrait faire, la replacer plus précisément dans son contexte a souvent semblé indispensable aux chercheurs. Ils mentionnent, selon leur point de vue, mais d'une manière assez similaire, les concepts de contexte, situation, sûr, heureux et sain, domaine de travail, monde du travail or l'environnement de travail. Le problème réside moins dans les nuances entre ces termes que dans le choix des variables qu'il convient de décrire pour leur donner un sens utile. En effet, le monde est vaste et l'industrie est complexe, et les caractéristiques auxquelles on pourrait faire référence sont innombrables. Deux tendances peuvent être notées parmi les auteurs du domaine. La première voit dans la description du contexte un moyen de capter l'intérêt du lecteur et de lui fournir un cadre sémantique adéquat. La seconde a une perspective théorique différente : elle tente d'embrasser à la fois le contexte et l'activité, décrivant uniquement les éléments du contexte qui sont capables d'influencer le comportement des opérateurs.

Le cadre sémantique

Le contexte a un pouvoir évocateur. Il suffit, pour un lecteur averti, de lire l'histoire d'un opérateur dans une salle de contrôle engagé dans un processus continu pour se représenter un travail par commande et surveillance à distance, où prédominent les tâches de détection, de diagnostic et de régulation. Quelles variables faut-il décrire pour créer un contexte suffisamment significatif ? Tout dépend du lecteur. Néanmoins, il existe un consensus dans la littérature sur quelques variables clés. Le nature du secteur économique, le type de production ou de service, la taille et la situation géographique du site sont utiles.

Les processus de production, les outils ou machines et leur niveau d'automatisation laisser deviner certaines contraintes et certaines qualifications nécessaires. Le composition du personnel, ainsi que l'âge et le niveau de qualification et d'expérience sont des données cruciales dès lors que l'analyse porte sur des aspects de formation ou de flexibilité organisationnelle. Le organisation du travail établie dépend plus de la philosophie de l'entreprise que de la technologie. Sa description comprend notamment les horaires de travail, le degré de centralisation des décisions et les types de contrôle exercés sur les travailleurs. D'autres éléments peuvent être ajoutés dans différents cas. Ils sont liés à l'histoire et à la culture de l'entreprise, à sa situation économique, à ses conditions de travail, à d'éventuelles restructurations, fusions et investissements. Il existe au moins autant de systèmes de classification que d'auteurs et de nombreuses listes descriptives circulent. En France, un effort particulier a été fait pour généraliser des méthodes descriptives simples, permettant notamment de hiérarchiser certains facteurs selon qu'ils sont satisfaisants ou non pour l'exploitant (RNUR 1976 ; Guelaud et al. 1977).

La description des facteurs pertinents concernant l'activité

La taxonomie des systèmes complexes décrite par Rasmussen, Pejtersen et Schmidts (1990) représente l'une des tentatives les plus ambitieuses pour couvrir à la fois le contexte et son influence sur l'opérateur. Son idée principale est d'intégrer, de façon systématique, les différents éléments qui le composent et de faire ressortir les degrés de liberté et les contraintes à l'intérieur desquelles des stratégies individuelles peuvent être développées. Son objectif exhaustif le rend difficile à manipuler, mais l'utilisation de multiples modes de représentation, y compris les graphes, pour illustrer les contraintes a une valeur heuristique qui ne manquera pas d'intéresser de nombreux lecteurs. D'autres approches sont plus ciblées. Ce que les auteurs recherchent, c'est la sélection des facteurs qui peuvent influencer une activité précise. Ainsi, s'intéressant au contrôle des processus dans un environnement changeant, Brehmer (1990) propose une série de caractéristiques temporelles du contexte qui affectent le contrôle et l'anticipation de l'opérateur (voir figure 1). La typologie de cet auteur a été élaborée à partir de « micro-mondes », simulations informatiques de situations dynamiques, mais l'auteur lui-même, comme bien d'autres depuis, l'a utilisée pour l'industrie à processus continu (Van Daele 1992). Pour certaines activités, l'influence de l'environnement est bien connue et la sélection des facteurs n'est pas trop difficile. Ainsi, si l'on s'intéresse à la fréquence cardiaque en milieu de travail, on se limite souvent à décrire les températures de l'air, les contraintes physiques de la tâche ou l'âge et l'entraînement du sujet - même si l'on sait qu'en faisant cela on laisse peut-être éléments pertinents. Pour d'autres, le choix est plus difficile. Les études sur l'erreur humaine, par exemple, montrent que les facteurs capables de les produire sont nombreux (Reason 1989). Parfois, lorsque les connaissances théoriques sont insuffisantes, seul un traitement statistique, combinant analyse du contexte et de l'activité, permet de faire émerger les facteurs contextuels pertinents (Fadier 1990).

Figure 1. Les critères et sous-critères de la taxonomie des micro-mondes proposée par Brehmer (1990)

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La tâche ou l'activité ?

La tâche

La tâche est définie par ses objectifs, ses contraintes et les moyens qu'elle nécessite pour sa réalisation. Une fonction au sein de l'entreprise est généralement caractérisée par un ensemble de tâches. La tâche réalisée diffère de la tâche prescrite planifiée par l'entreprise pour un grand nombre de raisons : les stratégies des opérateurs varient au sein et entre les individus, l'environnement fluctue et les aléas nécessitent des réponses qui sortent souvent du cadre prescrit. Finalement, le tâche n'est pas toujours ordonnancée avec la bonne connaissance de ses conditions d'exécution, d'où la nécessité d'adaptations en temps réel. Mais même si la tâche est mise à jour au cours de l'activité, parfois au point de se transformer, elle n'en reste pas moins la référence centrale.

Les questionnaires, inventaires et taxonomies de tâches sont nombreux, notamment dans la littérature anglo-saxonne — le lecteur trouvera d'excellentes recensions dans Fleishman et Quaintance (1984) et dans Greuter et Algera (1989). Certains de ces instruments ne sont que des listes d'éléments — par exemple, les verbes d'action pour illustrer des tâches — qui sont cochés selon la fonction étudiée. D'autres ont adopté un principe hiérarchique, caractérisant une tâche comme des éléments imbriqués, ordonnés du global au particulier. Ces méthodes sont standardisées et peuvent s'appliquer à un grand nombre de fonctions ; ils sont simples à utiliser et la phase d'analyse est beaucoup plus courte. Mais lorsqu'il s'agit de définir un travail spécifique, elles sont trop statiques et trop générales pour être utiles.

Ensuite, il y a les instruments qui demandent plus d'habileté de la part du chercheur ; les éléments d'analyse n'étant pas prédéfinis, il appartient au chercheur de les caractériser. La technique déjà dépassée de l'incident critique de Flanagan (1954), où l'observateur décrit une fonction par référence à ses difficultés et identifie les incidents auxquels l'individu devra faire face, appartient à ce groupe.

C'est aussi la voie empruntée par l'analyse des tâches cognitives (Roth et Woods 1988). Cette technique vise à mettre en lumière les exigences cognitives d'un travail. Une façon d'y parvenir est de décomposer le travail en objectifs, contraintes et moyens. La figure 2 montre comment la tâche d'un anesthésiste, caractérisée d'abord par un objectif très global de survie du patient, peut être décomposée en une série de sous-objectifs, eux-mêmes classables en actions et moyens à mettre en œuvre. Plus de 100 heures d'observation au bloc opératoire et d'entretiens ultérieurs avec des anesthésistes ont été nécessaires pour obtenir cette « photographie » synoptique des exigences de la fonction. Cette technique, bien qu'assez laborieuse, est néanmoins utile en ergonomie pour déterminer si tous les buts d'une tâche sont pourvus des moyens de les atteindre. Elle permet également de comprendre la complexité d'une tâche (ses difficultés particulières et ses objectifs contradictoires, par exemple) et facilite l'interprétation de certaines erreurs humaines. Mais elle souffre, comme d'autres méthodes, de l'absence d'un langage descriptif (Grant et Mayes 1991). De plus, elle ne permet pas de formuler des hypothèses sur la nature des processus cognitifs mis en jeu pour atteindre les buts en question.

Figure 2. Analyse cognitive de la tâche : anesthésie générale

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D'autres approches ont analysé les processus cognitifs associés à des tâches données en élaborant des hypothèses sur le traitement de l'information nécessaire à leur accomplissement. Un modèle cognitif de ce type fréquemment employé est celui de Rasmussen (1986) qui prévoit, selon la nature de la tâche et sa familiarité pour le sujet, trois niveaux d'activité possibles basés soit sur des habitudes et des réflexes basés sur des compétences, soit sur des règles acquises basées sur les procédures ou sur les procédures basées sur les connaissances. Mais d'autres modèles ou théories qui ont atteint leur apogée dans les années 1970 restent en usage. Ainsi, la théorie du contrôle optimal, qui considère l'homme comme un contrôleur des écarts entre buts assignés et buts observés, est parfois encore appliquée aux processus cognitifs. Et la modélisation au moyen de réseaux de tâches interconnectées et d'organigrammes continue d'inspirer les auteurs de l'analyse cognitive des tâches ; la figure 3 propose une description simplifiée des séquences comportementales dans une tâche de contrôle de l'énergie, en construisant une hypothèse sur certaines opérations mentales. Toutes ces tentatives traduisent le souci des chercheurs de réunir dans une même description non seulement des éléments de contexte mais aussi la tâche elle-même et les processus cognitifs qui la sous-tendent – ​​et de refléter aussi le caractère dynamique du travail.

Figure 3. Description simplifiée des déterminants d'une séquence de comportement dans des tâches de maîtrise de l'énergie : un cas de consommation d'énergie inacceptable

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Depuis l'avènement de l'organisation scientifique du travail, le concept de tâche prescrite a fait l'objet de critiques négatives car il était considéré comme impliquant l'imposition aux travailleurs de tâches non seulement conçues sans consulter leurs besoins, mais souvent accompagnées d'un temps d'exécution spécifique. , une restriction mal accueillie par de nombreux travailleurs. Même si l'aspect d'imposition s'est plutôt assoupli aujourd'hui et même si les travailleurs contribuent plus souvent à la conception des tâches, un temps assigné aux tâches demeure nécessaire à la planification des horaires et demeure une composante essentielle de l'organisation du travail. La quantification du temps ne doit pas toujours être perçue de manière négative. Il constitue un indicateur précieux de la charge de travail. Une méthode simple mais courante de mesure de la pression temporelle exercée sur un travailleur consiste à déterminer le quotient du temps nécessaire à l'exécution d'une tâche divisé par le temps disponible. Plus ce quotient est proche de l'unité, plus la pression est forte (Wickens 1992). De plus, la quantification peut être utilisée dans une gestion du personnel souple mais appropriée. Prenons le cas des infirmières où la technique d'analyse prédictive des tâches a été généralisée, par exemple, dans la réglementation canadienne Planification des soins infirmiers requis (PRN 80) (Kepenne 1984) ou une de ses variantes européennes. Grâce à de telles listes de tâches, accompagnées de leurs délais d'exécution, on peut, chaque matin, compte tenu du nombre de patients et de leurs conditions médicales, établir un planning de soins et une répartition du personnel. Loin d'être une contrainte, le PRN 80 a, dans un certain nombre d'hôpitaux, démontré qu'il existait une pénurie de personnel soignant, puisque la technique permet d'établir un écart (voir figure 4) entre le souhaité et le constaté, c'est-à-dire entre le nombre de personnel nécessaire et le nombre disponible, et même entre les tâches prévues et les tâches réalisées. Les délais calculés ne sont que des moyennes et les fluctuations de la situation ne les rendent pas toujours applicables, mais cet aspect négatif est minimisé par une organisation souple qui accepte les ajustements et permet au personnel de participer à leur réalisation.

Figure 4. Écarts entre les effectifs présents et nécessaires sur la base du PRN80

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L'activité, les preuves et la performance

Une activité est définie comme l'ensemble des comportements et des ressources utilisées par l'opérateur pour que se produise un travail, c'est-à-dire la transformation ou la production d'un bien ou la prestation d'un service. Cette activité peut être appréhendée par l'observation de différentes manières. Faverge (1972) a décrit quatre formes d'analyse. La première est une analyse en termes de gestes et postures, où l'observateur repère, au sein de l'activité visible de l'opérateur, des classes de comportements reconnaissables et répétés au cours du travail. Ces activités sont souvent couplées à une réponse précise : par exemple, la fréquence cardiaque, qui permet d'évaluer la charge physique associée à chaque activité. La deuxième forme d'analyse est en termes de prise d'informations. Ce qui est découvert, par observation directe - ou à l'aide de caméras ou d'enregistreurs de mouvements oculaires -, c'est l'ensemble des signaux captés par l'opérateur dans le champ d'information qui l'entoure. Cette analyse est particulièrement utile en ergonomie cognitive pour tenter de mieux comprendre le traitement de l'information effectué par l'opérateur. Le troisième type d'analyse est en termes de réglementation. L'idée est d'identifier les ajustements d'activité opérés par l'opérateur pour faire face soit aux fluctuations de l'environnement, soit à l'évolution de sa propre condition. On y retrouve l'intervention directe du contexte dans l'analyse. L'un des projets de recherche les plus fréquemment cités dans ce domaine est celui de Sperandio (1972). Cet auteur a étudié l'activité des contrôleurs aériens et identifié d'importants changements de stratégie lors d'une augmentation du trafic aérien. Il les a interprétés comme une tentative de simplifier l'activité en visant à maintenir un niveau de charge acceptable, tout en continuant à répondre aux exigences de la tâche. La quatrième est une analyse en termes de processus de pensée. Ce type d'analyse a été largement utilisé dans l'ergonomie des postes fortement automatisés. En effet, la conception d'aides informatiques et notamment d'aides intelligentes à l'opérateur nécessite une compréhension approfondie de la manière dont l'opérateur raisonne pour résoudre certains problèmes. Le raisonnement impliqué dans la planification, l'anticipation et le diagnostic a fait l'objet d'analyses, dont un exemple peut être trouvé dans la figure 5. Cependant, la preuve de l'activité mentale ne peut être qu'inférée. Hormis certains aspects observables du comportement, tels que les mouvements oculaires et le temps de résolution de problèmes, la plupart de ces analyses recourent à la réponse verbale. Un accent particulier a été mis, ces dernières années, sur les connaissances nécessaires à l'accomplissement de certaines activités, les chercheurs essayant de ne pas les postuler au départ mais de les faire apparaître à travers l'analyse elle-même.

Figure 5. Analyse de l'activité mentale. Stratégies de contrôle des procédés à temps de réponse longs : le besoin d'un support informatisé au diagnostic

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Ces efforts ont mis en évidence le fait que des performances quasiment identiques peuvent être obtenues avec des niveaux de connaissance très différents, à condition que les opérateurs soient conscients de leurs limites et appliquent des stratégies adaptées à leurs capacités. Ainsi, dans notre étude du démarrage d'une centrale thermoélectrique (De Keyser et Housiaux 1989), les démarrages ont été effectués à la fois par des ingénieurs et des opérateurs. Les connaissances théoriques et procédurales que possédaient ces deux groupes, qui avaient été obtenues au moyen d'entretiens et de questionnaires, étaient très différentes. Les opérateurs notamment avaient parfois une compréhension erronée des variables dans les liens fonctionnels du processus. Malgré cela, les performances des deux groupes étaient très proches. Mais les opérateurs ont pris en compte plus de variables pour vérifier la maîtrise du démarrage et ont procédé à des vérifications plus fréquentes. De tels résultats ont également été obtenus par Amalberti (1991), qui mentionne l'existence de métaconnaissances permettant aux experts de gérer leurs propres ressources.

Quoi preuve d'activité convient-il d'élucider ? Sa nature, on l'a vu, dépend étroitement de la forme d'analyse envisagée. Sa forme varie selon le degré de soin méthodologique exercé par l'observateur. Provoqué la preuve se distingue de spontané preuves et concomitant de ultérieur preuve. De manière générale, lorsque la nature du travail le permet, les témoignages concomitants et spontanés sont à privilégier. Ils sont exempts de divers inconvénients tels que le manque de fiabilité de la mémoire, l'interférence de l'observateur, l'effet de rationalisation de la reconstruction de la part du sujet, etc. Pour illustrer ces distinctions, nous prendrons l'exemple des verbalisations. Les verbalisations spontanées sont des échanges verbaux, ou des monologues exprimés spontanément sans être sollicités par l'observateur ; les verbalisations provoquées sont celles faites à la demande spécifique de l'observateur, comme la demande faite au sujet de « penser à haute voix », bien connue dans la littérature cognitive. Les deux types peuvent être effectués en temps réel, pendant le travail, et sont donc concomitants.

Elles peuvent aussi être postérieures, comme dans les entretiens, ou les verbalisations des sujets lorsqu'ils visionnent des bandes vidéo de leur travail. Quant à la validité des verbalisations, le lecteur ne doit pas ignorer le doute soulevé à cet égard par la controverse entre Nisbett et De Camp Wilson (1977) et White (1988) et les précautions suggérées par de nombreux auteurs conscients de leur importance dans l'étude. de l'activité mentale compte tenu des difficultés méthodologiques rencontrées (Ericson et Simon 1984 ; Savoyant et Leplat 1983 ; Caverni 1988 ; Bainbridge 1986).

L'organisation de ces preuves, leur traitement et leur formalisation nécessitent des langages descriptifs et parfois des analyses qui vont au-delà de l'observation de terrain. Les activités mentales qui sont déduites de la preuve, par exemple, restent hypothétiques. Aujourd'hui, ils sont souvent décrits à l'aide de langages issus de l'intelligence artificielle, faisant appel à des représentations en termes de schémas, de règles de production et de réseaux de connexion. Par ailleurs, l'utilisation de simulations informatiques - de micro-mondes - pour repérer certaines activités mentales s'est généralisée, même si la validité des résultats obtenus à partir de telles simulations informatiques, compte tenu de la complexité du monde industriel, est sujette à débat. Enfin, il faut mentionner les modélisations cognitives de certaines activités mentales extraites du terrain. Parmi les plus connus figure le diagnostic de l'exploitant d'une centrale nucléaire, réalisé à ISPRA (Decortis et Cacciabue 1990), et la planification du pilote de combat mise au point à Centre d'études et de recherches de médecine aérospatiale (CERMA) (Amalberti et al. 1989).

La mesure des écarts entre les performances de ces modèles et celles d'opérateurs réels et vivants est un champ fécond d'analyse d'activité. Performance est le résultat de l'activité, la réponse finale donnée par le sujet aux exigences de la tâche. Elle s'exprime au niveau de la production : productivité, qualité, erreur, incident, accident – ​​voire, à un niveau plus global, absentéisme ou turnover. Mais elle doit aussi être identifiée au niveau individuel : l'expression subjective de la satisfaction, du stress, de la fatigue ou de la charge de travail, et de nombreuses réponses physiologiques sont aussi des indicateurs de performance. Seul l'ensemble des données permet d'interpréter l'activité, c'est-à-dire de juger si elle sert ou non les buts recherchés tout en restant dans les limites humaines. Il existe un ensemble de normes qui, jusqu'à un certain point, guident l'observateur. Mais ces normes ne sont pas situé— ils ne tiennent pas compte du contexte, de ses fluctuations et de la condition du travailleur. C'est pourquoi en ergonomie de conception, même lorsqu'il existe des règles, des normes et des modèles, il est conseillé aux concepteurs de tester le produit à l'aide de prototypes le plus tôt possible et d'évaluer l'activité et les performances des utilisateurs.

Travail Individuel ou Collectif ?

Alors que dans la grande majorité des cas, le travail est un acte collectif, la plupart des analyses du travail portent sur des tâches ou des activités individuelles. Pourtant, force est de constater que l'évolution technologique, tout comme l'organisation du travail, privilégie aujourd'hui le travail distribué, que ce soit entre ouvriers et machines ou simplement au sein d'un groupe. Quelles pistes ont été explorées par les auteurs pour prendre en compte cette distribution (Rasmussen, Pejtersen et Schmidts 1990) ? Ils portent sur trois aspects : la structure, la nature des échanges et la labilité structurelle.

Structure

Que l'on considère la structure comme des éléments d'analyse des personnes, ou des services, voire des différentes branches d'une entreprise travaillant en réseau, la description des liens qui les unissent reste un problème. Nous connaissons très bien les organigrammes au sein des entreprises qui indiquent la structure d'autorité et dont les différentes formes reflètent la philosophie organisationnelle de l'entreprise, très hiérarchisées pour une structure de type Taylor, ou aplaties en râteau, voire matricielles, pour une structuration plus souple. D'autres descriptions d'activités distribuées sont possibles : un exemple est donné dans la figure 6. Plus récemment, la nécessité pour les entreprises de représenter leurs échanges d'informations au niveau mondial a conduit à repenser les systèmes d'information. Grâce à certains langages descriptifs, par exemple les schémas de conception ou les matrices entité-relations-attributs, la structure des relations au niveau collectif peut aujourd'hui être décrite de manière très abstraite et peut servir de tremplin à la création de systèmes de gestion informatisés. .

Figure 6. Conception intégrée du cycle de vie

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La nature des échanges

La simple description des liens unissant les entités en dit peu sur le contenu même des échanges ; bien sûr, la nature de la relation peut être précisée — déplacement d'un lieu à un autre, transferts d'information, dépendance hiérarchique, etc. — mais c'est souvent tout à fait insuffisant. L'analyse des communications au sein des équipes est devenue un moyen privilégié pour saisir la nature même du travail collectif, englobant les sujets évoqués, la création d'un langage commun dans une équipe, la modification des communications lorsque les circonstances sont critiques, etc. (Tardieu, Nanci et Pascot 1985 ; Rolland 1986 ; Navarro 1990 ; Van Daele 1992 ; Lacoste 1983 ; Moray, Sanderson et Vincente 1989). La connaissance de ces interactions est particulièrement utile pour la création d'outils informatiques, notamment d'aide à la décision pour comprendre les erreurs. Les différentes étapes et les difficultés méthodologiques liées à l'utilisation de ces preuves ont été bien décrites par Falzon (1991).

Labilité structurelle

C'est le travail sur les activités plutôt que sur les tâches qui a ouvert le champ de la labilité structurelle, c'est-à-dire des reconfigurations constantes du travail collectif sous l'influence de facteurs contextuels. Des études comme celles de Rogalski (1991), qui ont analysé sur une longue période les activités collectives face aux incendies de forêt en France, ou de Bourdon et Weill Fassina (1994), qui ont étudié la structure organisationnelle mise en place pour faire face aux accidents ferroviaires, sont à la fois très instructif. Ils montrent bien comment le contexte façonne la structure des échanges, le nombre et le type d'acteurs impliqués, la nature des communications et le nombre de paramètres essentiels au travail. Plus ce contexte fluctue, plus les descriptions figées de la tâche s'éloignent de la réalité. La connaissance de cette labilité et une meilleure compréhension des phénomènes qui s'y déroulent sont indispensables pour anticiper l'imprévisible et mieux former les acteurs du travail collectif en situation de crise.

Conclusions

Les différentes phases de l'analyse du travail qui ont été décrites sont une partie itérative de tout cycle de conception des facteurs humains (voir figure 6). Dans cette conception de tout objet technique, qu'il s'agisse d'un outil, d'un poste de travail ou d'une usine, où les facteurs humains sont pris en compte, certaines informations sont nécessaires dans le temps. En général, le début du cycle de conception est caractérisé par un besoin de données portant sur les contraintes environnementales, les types de travaux à réaliser et les différentes caractéristiques des utilisateurs. Ces premières informations permettent d'établir le cahier des charges de l'objet afin de tenir compte des impératifs de travail. Mais ce n'est, en quelque sorte, qu'un modèle grossier par rapport à la situation de travail réelle. C'est pourquoi il faut des modèles et des prototypes qui, dès leur création, permettent d'évaluer non pas les emplois eux-mêmes, mais les activités des futurs utilisateurs. Par conséquent, si la conception des images sur un moniteur dans une salle de contrôle peut être basée sur une analyse cognitive approfondie du travail à effectuer, seule une analyse basée sur les données de l'activité permettra de déterminer avec précision si le prototype sera réellement être utile dans la situation de travail réelle (Van Daele 1988). Une fois l'objet technique fini mis en service, l'accent est davantage mis sur la performance des utilisateurs et sur les situations de dysfonctionnement, comme les accidents ou les erreurs humaines. La collecte de ce type d'informations permet d'apporter les corrections finales qui augmenteront la fiabilité et la convivialité de l'objet terminé. L'industrie nucléaire comme l'industrie aéronautique en sont un exemple : le retour d'expérience consiste à signaler chaque incident survenu. De cette façon, la boucle de conception est bouclée.

 

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